Utiliser les médias comme leviers dans nos luttes

Déc 4, 2019 | Critique des médias, Politique, Société | 0 commentaires

Temps de lecture : 5 minutes

Bien souvent, les médias qui ont les plus grandes parts d’audience ignorent nos luttes, sauf lorsqu’il s’agit de porter un regard à charge ou polémique sur nos mobilisations, voire sur nos personnes. Ainsi, nous nous retrouvons contraints d’ajuster notre calendrier à l’agenda médiatique, quitte à nous épuiser et affaiblir nos luttes. Les médias principaux nous deviennent donc hostiles, voire toxiques. Seulement, a-t-on aujourd’hui les moyens d’inverser le rapport de forces en intégrant ces médias ? Ou faut-il au contraire miser sur des forces complètement indépendantes sans garantie que nos voix portent suffisamment ? En réalité, il est possible d’investir des médias pour les utiliser comme leviers, mais ceci ne se fait pas sans préparation ou sans forces externes. Nous allons voir comment et pourquoi ici.

  • Produire du contenu sans attendre les invitations dans les médias : la technique de l’inbound marketing

Avec les médias sociaux, nous avons aujourd’hui tous les moyens de produire du contenu éditorial. Bien sûr, il existe des règles à respecter afin que le contenu soit de qualité ; il s’agit de celles de l’inbound marketing, c’est-à-dire les techniques qu’utilisent les influenceurs du web pour attirer des clients. Il faut d’abord parler du produit sans être démarché, afin de créer un intérêt dans sa communauté, puis faire en sorte de transformer sa communauté en ambassadrice de son contenu. Ici le produit, c’est votre parole en tant que sujet social ou activiste. Les clients qu’on cherche à attirer, ce sont les médias mainstream, pour les transformer en relais de notre parole à une plus grande échelle.

  • Créer de l’engagement autour de son contenu

Pour les questions sociales, l’enjeu c’est de fédérer une communauté aussi fidèle qu’engagée, et en nombre suffisant pour que les médias mainstream soient contraints de faire avec et notre contenu, et notre communauté. La construction de liens de solidarité et de confiance durables est donc une étape obligatoire. Il est donc nécessaire de faire preuve de rigueur sur la qualité éditoriale, mais aussi de bienveillance et d’intégrité pour générer de la sécurité au sein de sa communauté. D’où l’intérêt de limiter voire supprimer les conflits absurdes, par exemple.
Nous avons le choix, soit de fédérer une communauté large, pour être sûrs que même si une minorité s’engage, elle sera en nombre suffisant pour diffuser votre message efficacement, soit de réunir un groupe restreint mais disponible et assidû pour donner de la force à votre contenu.
Il faut également noter que les contenus visuels (images et vidéos) sont bien plus viraux (modèle Brut, AJ+ ou encore Konbini) que les textes, mais ne permettent pas d’approfondir ses analyses. La viralité est très intéressante lorsqu’il s’agit de marquer des temps forts, mais ne permet pas de construire sur le long terme, en plus d’être coûteuse en énergie.

  • Se renseigner sur les techniques SEO pour optimiser sa visibilité

Le Search Engine Optimization (Optimisation des Moteurs de Recherche en français), permet d’apparaître en bonne position dans les moteurs de recherche, et ainsi de gagner en visibilité. Il est intéressant d’être au courant des pratiques SEO efficaces, même s’il faut garder en tête que les critères de référencement et les algorithmes des moteurs de recherche sont encore très opaques, malgré la prolifération de charlatans « d’experts » sur la question. Il est aussi nécessaire de faire attention à ce que la logique SEO ne prenne pas le dessus sur le fond du contenu, sous peine de déformer la ligne éditoriale choisie.

  • Interpeller les médias sur les réseaux sociaux

L’une des marques de puissance des médias sociaux, c’est la facilité avec laquelle on peut interpeller directement des médias classiques, des institutions privées ou publiques ou des personnalités. En effet, aujourd’hui, presque tout le monde a une identité numérique, les grandes instances sont contraintes d’occuper cet espace. Si les community managers de ces gros comptes ne peuvent pas interagir à chaque mention, ils ne pourront passer à côté du sujet que vous évoquerez à condition que de nombreux utilisateurs se mobilisent sur un même sujet. Il est donc essentiel d’organiser une communauté en nombre suffisant avant d’interpeller des médias classiques.

  • Alimenter son compte ou sa page avec du contenu pertinent avec ses objectifs afin de définir une ligne éditoriale claire

Construire une communauté prend du temps, et reste relativement aléatoire. La démarche est souvent contre-intuitive, malgré la perception qu’on peut en avoir. Si vous commencez par tâtonner en publiant ce qui vous passe par la tête, vous risquez aussi bien de fédérer que de créer la polémique. La polémique peut créer de l’engagement sur votre contenu, mais aussi des conflits épuisants et chronophages, sans que derrière il n’y ait de leçons claires tirées. Ceci représente donc un risque. Les débats sont utiles, néanmoins, s’ils sont sans issues, ils n’apportent rien qui permette de construire une stratégie éditoriale digne de ce nom. Il est plus judicieux de partager ses analyses personnelles (à condition qu’elles soient solidement argumentées), des articles d’analyse et de décryptage (journalisme de solution), et du contenu viral comme des brèves ou des supports multimédias (à condition que ce soit commenté de manière pertinente). Faire preuve de constance permet de rassurer, et donc de générer de l’engagement sur son contenu. Inutile de rester trop consensuel, le but étant de se démarquer sur le fond, comme sur la forme. Cependant, évitez de trop personnaliser vos productions : l ‘objectif n’est pas de mettre en lumière des personnes, mais d’imposer un débat dans l’espace médiatique.

En effet, si vous souhaitez développer des thèmes complexes, les émissions télévision ou radio où il y a de nombreux intervenants aux positions politiques très polarisées ne représentent pas le terrain idéal pour vous. Ces programmes sont souvent très regardés, et exposent leurs intervenants à la critique violente, l’injure publique, voire aux menaces et harcèlement. Il suffit qu’une phrase sortie du contexte devienne virale pour que votre message soit discrédité. Préférez les formats où il y a peu d’intervenants, où vous avez un temps suffisament long pour dérouler votre argumentaire, et où vous serez entendu et écouté, quitte à ce que l’audience soit plus faible. Ces espaces restreints permettent également de vous renforcer et de vous donner confiance. Et c’est important pour construire des bases solides dans une lutte.

  • Il est possible de se rendre dans des productions a priori hostiles, mais dans ce cas précis, il est nécessaire d’adapter ses éléments de langage, de les travailler en amont afin qu’ils puissent être audibles.

Une fois que vous maitrisez les tenants et les aboutissants de votre discours, vous serez prêts à vous attaquer à des formats plus hostiles. Or, là encore, il y a du travail.
Dans une émission de grande écoute, vous n’aurez que très peu de temps pour parler. Il faudra donc se limiter à quelques points, et trouver un moyen de les résumer de manière efficace, c’est-à-dire en un minimum de mots, et sans perdre l’essentiel du message. Il y a souvent de nombreux intervenants : plus il y a d’interlocuteurs, moins vous pourrez parler, et plus le risque de conflit (qui pourrait brouiller votre message) est élevé.
Pour rendre le message intelligible au plus grand nombre, il est nécessaire de filtrer les éléments de langage connotés idéologiquement en les remplaçant par des termes plus « grand public » ; de cette manière vous réussirez à toucher des personnes moins politisées que vous, et c’est l’intérêt premier d’apparaître dans ce type de programmes.
Enfin, pour inspirer confiance, il est préférable d’adopter une posture sereine, y compris face à l’adversité. Afin d’y parvenir, on peut travailler sur sa communication verbale et non-verbale, ainsi que sur sa respiration.
Les points-clé de ce billet ne visent pas à construire une stratégie pour infiltrer les médias mainstream (ce n’est pas l’objectif, et l’entrisme ne permet en réalité que très peu de marges de manœuvre), mais plutôt pour délivrer son message quand bien même nous ne serions pas les interlocuteurs ou interlocutrices privilégié.e.s. L’intérêt de ces médias réside dans leur niveau d’audience et la diversité sociologique de leur public, puisque le format de leurs émissions ne permet que très rarement la construction d’un rapport de forces favorable à nos luttes. S’il ne s’agit pas de cautionner un modèle médiatique complètement biaisé, et encore moins d’en faire la promotion, il faut garder en tête qu’il n’y a pour l’instant pas d’alternative crédible (malgré une multitude de canaux d’excellente qualité émergeant grâce aux nouvelles technologies) en termes de taille, d’où l’intérêt de construire des stratégies pour les utiliser à notre avantage, faute de ne pouvoir boycotter totalement.

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