Témoignage abstention : “Au fur et à mesure des campagnes, je me suis rendu compte que les gens votaient souvent « à l’aveugle » sans connaître vraiment les candidats et leur programme. C’est pour ça que le vote est inutile aujourd’hui.”

Juil 7, 2020 | Politique, Société | 0 commentaires

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Franck, Comédien
« J’ai eu mon bac S mais ça ne me plaisait pas trop. Je me suis orienté vers la fac de lettres avec le projet de devenir prof d’université, mais je trouvais que c’était beaucoup d’efforts pour un métier qui m’attirait moyennement (8 ans d’études + CAPES + agrégation). Alors j’ai décidé de me consacrer pleinement à ma passion qui est le théâtre et de devenir humoriste.
Politiquement, j’ai été longtemps en faveur de l’idéologie dominante, qui est celle du libéralisme exacerbé, surtout durant mes études en Angleterre. Aujourd’hui, je donnerais des claques à la personne que j’étais il y a 15 ans et je comprends les anarchistes qui bloquaient la fac contre la loi LRU. A l’époque, je légitimais que cette loi était votée par des élus. En même temps, ils respectaient leur programme alors qu’aujourd’hui ils s’assoient sur leur programme, surtout Hollande. Le pire, c’est qu’ils font la morale aux autres sans balayer devant leur porte.
Je me suis déjà engagé au sein de ma fac afin de défendre mon UFR (Unité de Formation et de Recherche), c’était mes débuts au niveau de l’engagement. Cette expérience ne fut pas très probante, mais elle a quand même permis de limiter la casse au niveau des intérêts des étudiants.
Puis en 2007, je me suis encarté au Modem car je trouvais le discours de Bayrou raisonnable, progressiste et pragmatique. Il proposait selon moi une alternative crédible, d’ailleurs son score a été plutôt bon en 2007. Puis j’ai réalisé malheureusement qu’il faisait beaucoup trop de compromis. Au départ, il y avait plein d’utopistes et encore peu de professionnels de la politique (pas comme à l’UMP ou au PS). Or, ceux qui tiennent les rênes du Modem sont des professionnels de la politique. Ce qui m’a définitivement dégoûté, c’est quand j’ai entendu une candidate de mon parti dire que le programme servait juste à être élu et qu’après, on pouvait s’asseoir dessus. Puis, il y a aussi eu tous les trucs délirants qui se sont déroulés sous mes yeux. Comme des candidats négociant leurs places avec des adversaires politiques, ou des candidats parachutés d’autres partis. Il y avait aussi des gens qui se taisaient et avalaient des couleuvres parce que leur travail dépendait des adversaires. Il fallait toujours magouiller pour monter des listes. On a même eu une tête de liste qui insultait et harcelait les autres candidats via des commentaires de blogs de campagne. Les autres adhérents l’ont quand même couverte à cause du siège qu’elle occupait au conseil régional. C’est dommage car on était une liste indépendante. J’ai compris que sans ce fonctionnement non-éthique, on n’aurait jamais pu se présenter, j’en suis donc venu à la conclusion que le système politique actuel ne rendait éligibles que les « pourris ».  Même s’il y a quelques exceptions parmi les élus, elles sont trop rares. J’ai essayé de faire le ménage mais je n’ai pas réussi, donc je suis parti.
Au fur et à mesure des campagnes, je me suis rendu compte que les gens votaient souvent « à l’aveugle » sans connaître vraiment les candidats et leur programme. C’est pour ça que le vote est inutile aujourd’hui.
Je ne vote plus au second tour, ce serait choisir entre la peste et le choléra sauf en 2012 où j’ai voté par défaut pour Hollande et contre la campagne immonde et islamophobe de Sarkozy. Je ne blâme pas les gens qui votent FN, je préfère leur expliquer que ce n’est pas mieux que les autres partis. Aujourd’hui ils ont beaucoup d’élus dans l’opposition dans les conseils régionaux, ce qui est pire que s’ils avaient gagné une ou deux régions, car ils n’auront pas l’occasion de mettre les mains dans le cambouis et n’auront pas donc la possibilité de prouver leur incompétence au peuple.
Je serais capable de voter pour un candidat qui fait moins de 1% juste pour troller, Cheminade par exemple. Je n’exclus pas l’hypothèse de me présenter moi-même, en mode Coluche, pour que les gens rigolent, que ça serve de catharsis et que tout le monde réalise que les élections sont une mascarade.
Je ne vois pas d’issue à ce problème. Il y a trop de verrous dans le système, l’éducation est tellement démantelée que le peuple n’a presque plus les moyens de s’en affranchir ou même de le critiquer. Je pense que même si on va dans le mur, le peuple ne s’en rendra pas compte car il se laisse dominer intellectuellement.
C’est pour ça que peu de gens contestent l’état d’urgence. Ils ont beau se faire exploiter par une oligarchie, ils laissent faire au nom de la peur. Ils n’ont pas le courage de résister et préfèrent se reposer sur les élus.
Ce qui pourrait marcher, ce serait la citoyenneté acquise au « mérite » où seuls ceux qui ont les prérequis nécessaires en termes d’éducation pourraient participer à la vie politique, ou alors des élus tirés au sort parmi une population répondant à des critères exigeants.
Je pense que le changement ne se fera pas par les urnes, et que les progressions de partis comme Podemos ou Ciudadanos en Espagne ne donneront rien, on l’a vu avec l’exemple de Syriza en Grèce, où Tsipras n’a pas eu le courage d’aller jusqu’au bout. Je pense qu’on ne peut rien changer si on n’est pas capable de se remettre soi-même en question.
Aujourd’hui, la seule chose que je parviens à faire c’est d’injecter des messages politiques dans mon travail de comédien, mais franchement, je ne sais pas si c’est vraiment utile. »
 

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