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Anastasia, 43 ans, mère de 3 enfants, coordinatrice sociale en recherche d’emploi
« Je venais du milieu blanc et bourgeois de l’agglomération lyonnaise avant d’arriver dans une cité de St-Denis dans les années 1980. J’ai pris une grosse claque, car la cité, c’est une micro-organisation qui coexiste avec le reste de la société. Il a fallu que je m’y intègre.
En primaire, j’étais une bonne élève, puis au collège, je suis devenue ce qu’on appelle une « décrocheuse ». J’avais donc peu de perspectives d’avenir. On m’a laissé le choix entre un CAP coiffure/esthétique, vente ou compta. Mes parents ont accepté les instructions des professeurs et de la conseillère d’éducation car ils faisaient confiance à l’institution de l’Education Nationale. Je me suis donc retrouvée en CAP comptabilité et administration. Mon père rêvait de me voir travailler dans un bureau, lui qui a été maçon durant toute sa carrière. J’ai obtenu mon CAP au bout de 4 ans. Je pensais que je ne l’obtiendrais pas le jour des résultats, alors je m’étais inscrite dans une formation pour faire de la photo, moi qui avais toujours été attirée par l’art. Je voyais l’école surtout comme un endroit de liberté où je pouvais rencontrer mes amis, pas comme une institution permettant de construire mon avenir. Même si j’ai aujourd’hui le sentiment que l’école de la République m’a abandonnée, j’ai quand même rencontré une prof de français en CAP qui m’a redonné confiance en moi. Au départ, on se détestait, mais elle m’a inscrite à mon insu à un concours de poésie en lisant mes textes. J’ai été finaliste et j’ai fini 3ème au concours. J’ai gagné un livre de Verlaine, et c’est comme ça que j’ai commencé à adorer la lecture. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’affectif, j’ai besoin qu’on me fasse confiance pour faire des efforts.
Après mon CAP, j’ai obtenu un stage à la MJC de St-Denis, car je n’avais pas envie d’aller en entreprise. J’ai fait partie du staff et j’ai bossé sur de super projets comme l’accompagnement de jeunes artistes durant les Francofolies.
J’ai décidé de reprendre les études pour passer un BEP. J’ai eu des conflits familiaux, j’étais donc à la rue, mais le lycée m’a beaucoup aidée car je m’étais assagie. L’économie et le droit m’intéressaient. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai cherché du travail. J’ai cumulé les missions d’intérim. Le monde du travail m’a dégoûtée. Trop de malhonnêteté. Trop de harcèlement.
Mon premier CDI, c’était dans le secteur de la logistique. J’ai pu évoluer, mon travail me plaisait même s’il était difficile. J’ai fini par démissionner à cause du harcèlement et je me suis retrouvée sans emploi. J’en ai profité pour me consacrer à mes enfants.
Ensuite, j’ai travaillé dans la vente, j’ai pu passer une validation de compétences et j’ai repris les études en bac pro logistique avant de donner naissance à mon 3ème enfant.
Grâce à ce diplôme, j’ai pu travailler en tant que secrétaire comptable. Mon employeur se permettait de m’humilier, tout en refusant de me licencier. Grâce à la CGT et à un avocat bénévole, j’ai obtenu gain de cause.
En 2010, j’ai trouvé un travail dans une association d’aide à domicile. J’y ai travaillé pendant 4 ans, puis on a été racheté par une entreprise qui se moquait de l’humain et ne cherchait qu’à faire du chiffre. Je suis partie car ça ne me convenait pas. J’ai fait un burnout et mon employeur m’a envoyé un avertissement alors que j’étais en arrêt maladie. On m’avait demandé de faire de la RH alors que je ne suis pas qualifiée pour cette tâche, j’ai donc refusé.
Depuis je suis en recherche d’emploi et je m’investis dans plusieurs associations. Cet engagement est logique pour moi, car je me sens méprisée par les institutions.
Ma fille est voilée, on la harcèle constamment pour sa tenue. Au lycée, où j’ai dû intervenir plusieurs fois. Elle a même envisagé d’arrêter ses études à cause de ça. Je me suis sentie humiliée le jour où une orthodontiste a refusé de la soigné parce qu’elle voulait garder son voile. J’ai voulu faire appel au CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) mais elle n’a pas la force pour une procédure judiciaire. J’ai donc changé de médecin. Pourtant, ma fille est de bonne volonté. Elle a même déjà accepté de retirer son voile pour un stage, car ses collègues et ses responsables se sont montrés bienveillants envers elle.
Au Pôle Emploi, je cherche une formation pour orienter ma carrière vers l’associatif. A chaque fois que je m’y rends, on m’ignore, on refuse de me donner les infos et les documents nécessaires, tout en me méprisant. Je suis consciente que ce mépris n’est que la conséquence du manque de moyens pour faire leur travail correctement. En attendant, c’est moi qui paie les pots cassés. J’ai quand même la chance d’avoir l’énergie et les contacts nécessaires pour pouvoir me défendre, mais tout le monde n’est pas dans mon cas.
Avec le mépris de toutes ces institutions, c’est donc logique pour moi de ne pas voter, les lois ne nous protègent pas. Le vote blanc est inutile, car l’acte de voter n’est plus synonyme de liberté, mais d’arnaque dans ce contexte. On n’est plus respectés, écoutés ou même entendus. On n’est plus, tout court. A croire qu’on n’existe pas. La carte d’électeur, c’est le trou noir. J’ai voté jusqu’aux européennes de 2014, puis la victoire du FN à ces élections m’a définitivement écœurée des élections.
Le seul moyen de me conduire jusqu’aux urnes aujourd’hui serait de me payer. Je suis dégoûtée par tous ceux qui récupèrent nos luttes pour leurs intérêts politiques. Ils mendient des voix auprès de militants associatifs comme moi, puis après nous conseillent d’aller demander des subventions aux fondations des entreprises.
Bien sûr, j’adhère à une partie du discours d’un parti comme le NPA. Mais le problème lorsqu’on vote pour des candidats qui ont de réelles convictions, ils se font vite pourrir. Je serais prête à voter pour des organisations citoyennes du style « Podemos » en Espagne, et travailler avec des candidats qui me ressemblent. Je ne rejette pas les « élites » du système, à condition qu’ils aient une réelle volonté de servir les autres, et pas leurs intérêts.
Aujourd’hui aucune loi n’est respectée, mais elle est instrumentalisée par ceux qui détiennent le pouvoir. 10500 lois, 12700 décrets, 7400 traités et 17400 textes communautaires. Pourtant, on n’arrive pas à s’en sortir. Il y a aussi des lois qui datent du régime de Vichy et personne n’a pris le temps de les abroger. »
« Je venais du milieu blanc et bourgeois de l’agglomération lyonnaise avant d’arriver dans une cité de St-Denis dans les années 1980. J’ai pris une grosse claque, car la cité, c’est une micro-organisation qui coexiste avec le reste de la société. Il a fallu que je m’y intègre.
En primaire, j’étais une bonne élève, puis au collège, je suis devenue ce qu’on appelle une « décrocheuse ». J’avais donc peu de perspectives d’avenir. On m’a laissé le choix entre un CAP coiffure/esthétique, vente ou compta. Mes parents ont accepté les instructions des professeurs et de la conseillère d’éducation car ils faisaient confiance à l’institution de l’Education Nationale. Je me suis donc retrouvée en CAP comptabilité et administration. Mon père rêvait de me voir travailler dans un bureau, lui qui a été maçon durant toute sa carrière. J’ai obtenu mon CAP au bout de 4 ans. Je pensais que je ne l’obtiendrais pas le jour des résultats, alors je m’étais inscrite dans une formation pour faire de la photo, moi qui avais toujours été attirée par l’art. Je voyais l’école surtout comme un endroit de liberté où je pouvais rencontrer mes amis, pas comme une institution permettant de construire mon avenir. Même si j’ai aujourd’hui le sentiment que l’école de la République m’a abandonnée, j’ai quand même rencontré une prof de français en CAP qui m’a redonné confiance en moi. Au départ, on se détestait, mais elle m’a inscrite à mon insu à un concours de poésie en lisant mes textes. J’ai été finaliste et j’ai fini 3ème au concours. J’ai gagné un livre de Verlaine, et c’est comme ça que j’ai commencé à adorer la lecture. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’affectif, j’ai besoin qu’on me fasse confiance pour faire des efforts.
Après mon CAP, j’ai obtenu un stage à la MJC de St-Denis, car je n’avais pas envie d’aller en entreprise. J’ai fait partie du staff et j’ai bossé sur de super projets comme l’accompagnement de jeunes artistes durant les Francofolies.
J’ai décidé de reprendre les études pour passer un BEP. J’ai eu des conflits familiaux, j’étais donc à la rue, mais le lycée m’a beaucoup aidée car je m’étais assagie. L’économie et le droit m’intéressaient. Après l’obtention de mon diplôme, j’ai cherché du travail. J’ai cumulé les missions d’intérim. Le monde du travail m’a dégoûtée. Trop de malhonnêteté. Trop de harcèlement.
Mon premier CDI, c’était dans le secteur de la logistique. J’ai pu évoluer, mon travail me plaisait même s’il était difficile. J’ai fini par démissionner à cause du harcèlement et je me suis retrouvée sans emploi. J’en ai profité pour me consacrer à mes enfants.
Ensuite, j’ai travaillé dans la vente, j’ai pu passer une validation de compétences et j’ai repris les études en bac pro logistique avant de donner naissance à mon 3ème enfant.
Grâce à ce diplôme, j’ai pu travailler en tant que secrétaire comptable. Mon employeur se permettait de m’humilier, tout en refusant de me licencier. Grâce à la CGT et à un avocat bénévole, j’ai obtenu gain de cause.
En 2010, j’ai trouvé un travail dans une association d’aide à domicile. J’y ai travaillé pendant 4 ans, puis on a été racheté par une entreprise qui se moquait de l’humain et ne cherchait qu’à faire du chiffre. Je suis partie car ça ne me convenait pas. J’ai fait un burnout et mon employeur m’a envoyé un avertissement alors que j’étais en arrêt maladie. On m’avait demandé de faire de la RH alors que je ne suis pas qualifiée pour cette tâche, j’ai donc refusé.
Depuis je suis en recherche d’emploi et je m’investis dans plusieurs associations. Cet engagement est logique pour moi, car je me sens méprisée par les institutions.
Ma fille est voilée, on la harcèle constamment pour sa tenue. Au lycée, où j’ai dû intervenir plusieurs fois. Elle a même envisagé d’arrêter ses études à cause de ça. Je me suis sentie humiliée le jour où une orthodontiste a refusé de la soigné parce qu’elle voulait garder son voile. J’ai voulu faire appel au CCIF (Collectif Contre l’Islamophobie en France) mais elle n’a pas la force pour une procédure judiciaire. J’ai donc changé de médecin. Pourtant, ma fille est de bonne volonté. Elle a même déjà accepté de retirer son voile pour un stage, car ses collègues et ses responsables se sont montrés bienveillants envers elle.
Au Pôle Emploi, je cherche une formation pour orienter ma carrière vers l’associatif. A chaque fois que je m’y rends, on m’ignore, on refuse de me donner les infos et les documents nécessaires, tout en me méprisant. Je suis consciente que ce mépris n’est que la conséquence du manque de moyens pour faire leur travail correctement. En attendant, c’est moi qui paie les pots cassés. J’ai quand même la chance d’avoir l’énergie et les contacts nécessaires pour pouvoir me défendre, mais tout le monde n’est pas dans mon cas.
Avec le mépris de toutes ces institutions, c’est donc logique pour moi de ne pas voter, les lois ne nous protègent pas. Le vote blanc est inutile, car l’acte de voter n’est plus synonyme de liberté, mais d’arnaque dans ce contexte. On n’est plus respectés, écoutés ou même entendus. On n’est plus, tout court. A croire qu’on n’existe pas. La carte d’électeur, c’est le trou noir. J’ai voté jusqu’aux européennes de 2014, puis la victoire du FN à ces élections m’a définitivement écœurée des élections.
Le seul moyen de me conduire jusqu’aux urnes aujourd’hui serait de me payer. Je suis dégoûtée par tous ceux qui récupèrent nos luttes pour leurs intérêts politiques. Ils mendient des voix auprès de militants associatifs comme moi, puis après nous conseillent d’aller demander des subventions aux fondations des entreprises.
Bien sûr, j’adhère à une partie du discours d’un parti comme le NPA. Mais le problème lorsqu’on vote pour des candidats qui ont de réelles convictions, ils se font vite pourrir. Je serais prête à voter pour des organisations citoyennes du style « Podemos » en Espagne, et travailler avec des candidats qui me ressemblent. Je ne rejette pas les « élites » du système, à condition qu’ils aient une réelle volonté de servir les autres, et pas leurs intérêts.
Aujourd’hui aucune loi n’est respectée, mais elle est instrumentalisée par ceux qui détiennent le pouvoir. 10500 lois, 12700 décrets, 7400 traités et 17400 textes communautaires. Pourtant, on n’arrive pas à s’en sortir. Il y a aussi des lois qui datent du régime de Vichy et personne n’a pris le temps de les abroger. »
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