Comment et pourquoi le miroir déformant des réseaux sociaux déshumanise les militant.e.s ?

Août 1, 2019 | Politique, Société | 0 commentaires

Temps de lecture : 4 minutes

Les réseaux sociaux sont d’excellentes plateformes d’échanges où il est très facile de connecter des gens et créer des liens forts entre eux. S’il n’est pas souhaitable [pour des raisons évidentes] qu’un contrôle trop important soit exercé sur ce qui se dit sur les réseaux sociaux, il convient d’être vigilant non seulement sur la nature des informations qui y sont véhiculées [la question des « fake news » ne sera volontairement pas traitée ici car il s’agit d’un autre problème], mais surtout sur la teneur des échanges entre personnes, notamment les militant.e.s qui sont de gros utilisateurs de ces plateformes. Nous verrons donc ici pourquoi ces plateformes d’échanges sont des médias à part entière au même titre que les médias mainstream que nous consommons quotidiennement, et quels sont les mécanismes qui permettent à ces médias de déshumaniser nos échanges entre militant.e.s.
Les réseaux sociaux sont un média à part entière

Ce qui signifie que ce qui se dit n’est pas neutre, et que, comme dans tout média, il y a un angle à chaque publication. Tout ne peut donc pas être pris pour argent comptant, de la même manière que les informations dans l’actualité doivent être croisées et recoupées, il faut avoir les points de vue de tout le monde pour se faire un opinion sur un sujet. Et donc admettre qu’on ne sera jamais d’accord avec tout le monde, qu’on ne peut pas satisfaire tout le monde, et surtout qu’un point de vue divergent ne signifie pas que l’intention derrière est malveillante, mais qu’il peut s’expliquer par un contexte, une histoire, et des circonstances. Prendre en compte ces paramètres est donc indispensable pour être capable de se mettre dans la peau de son interlocuteur.


Or, le format des plateformes des médias sociaux où les interactions ont lieu majoritairement autour de publications individuelles et où la personne qui édite sur son compte ne rappelle pas forcément le contexte et les circonstances autorise n’importe qui à interagir n’importe comment sous ces publications. Néanmoins, si un auteur de publication est dans son droit lorsqu’il choisit ses modalités d’expression (c’est-à-dire de ne pas forcément rappeler d’où il écrit, dans quel contexte et dans quelles circonstances), ce n’est pas un prétexte valable pour harceler, dénigrer voire menacer ou insulter (dans les cas les plus graves) cet auteur. C’est même d’ailleurs au lecteur de réfléchir et de se demander les raisons et l’origine d’une publication avant de la commenter et de poser une question de manière non pertinente avec le sujet. En effet, ne pas faire ce travail conduit à un manque d’empathie qui empêche la compréhension de l’ensemble des utilisateurs des médias sociaux. Et ce manque d’empathie fait partie intégrante du processus de déshumanisation des militants.


Les médias sociaux dématérialisent les relations entre militant.e.s

Les plateformes de médias sociaux permettent d’échanger virtuellement avec un grand nombre de personnes, connues ou non, en privé ou publiquement, qu’il aurait été difficile de convier à un échange dans la « vraie vie » (IRL, In Real Life, pour les habitué.e.s du web). Ceci permet autant de rendre plus accessibles les rencontres entre militant.e.s, que de raréfier les échanges IRL, qui deviennent coûteux en temps, en énergie et en transports. Ces échanges deviennent donc idéalisés à outrance et mis sur un piédestal, ce qui entraîne une hiérarchisation pas toujours très saine entre les différents types d’échange.
Ainsi, le sentiment d’éloignement créé par la dématérialisation des échanges combinée à cette hiérarchisation, et parfois amplifié par l’anonymat sur Internet entraîne une perte de limites qui provoque un phénomène de dissociation entre les personnes et leurs écrans derrière lesquelles elles se trouvent ; en effet, l’écran donne une impression totalement illusoire d’être un « bouclier » qui servirait à la fois à se protéger soi-même et à empêcher de blesser ses interlocuteurs. Cette [fausse] impression réifie complètement les utilisateurs de médias sociaux en les réduisant à des « écrans » (alors qu’il s’agit de vraies personnes).
Pourtant, les relations virtuelles ne sont pas moins intenses que les relations IRL ; bien au contraire, puisque la virtualisation provoque aussi des liens complètement désinhibés, que ce soit dans les échanges avec affinités, ou ceux avec conflits. C’est pour ces raisons que les médias sociaux peuvent autant créer de liens de solidarité solides, où il est plus facile d’avoir accès à du contenu politisant, que de situations violentes de harcèlement, comme il en existe, notamment à l’égard de militantes féministes (pour exemples Anaïs Bourdet de Paye Ta Shnek qui parle de burn-out militant, Fatima Benomar qui subit du cyberharcèlement raciste ou encore « Buffy Mars », la blogueuse-vidéaste de www.toutestpolitique.fr qui a subi des attaques après s’être plaint du harcèlement sexiste d’un technicien Orange). On a trop peu conscience de la consistance de ces liens et de leur impact sur notre vie sociale, et sur les débats militants, et de leur rôle dans les conflits, alliances, et ruptures entre nous ; ce qui est dommageable à bien des égards.

Il est donc primordial à la fois de maîtriser l’usage des médias sociaux, d’en comprendre les enjeux et de prendre conscience de leur impact sur nos vies et nos pratiques militantes. D’une part pour nous permettre d’en profiter pleinement dans nos luttes, mais surtout pour apprendre à faire en sorte que nos débats ne finissent pas en conflits où il y a ruptures d’alliances qui se sont souvent construites difficilement.
En effet, à force de débats houleux, on se rend souvent compte que la mauvaise qualité des infos que l’on peut trouver sur ces médias n’est pas notre seule ennemie, mais que le manque de bienveillance entre militant.e.s peut être tout aussi nuisible, si ce n’est plus. Une solution serait de travailler pour que les échanges IRL soient plus nombreux, cependant il faut désormais admettre que les échanges virtuels deviennent la norme, et que l’on va devoir concilier avec.

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