Pourquoi affaiblir le Code du Travail ne va pas augmenter la compétitivité des entreprises en France

Sep 17, 2015 | Critique des médias | 0 commentaires

Temps de lecture : 5 minutes

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Le Code du Travail, c’est cet ensemble de lois  qui protège les salariés français des éventuels abus des employeurs. Le problème, c’est qu’en France, même s’il y a des lois, chaque profession et chaque secteur professionnel a son propre règlement avec les conventions collectives et les accords de branche. Ces règles vont (déjà) parfois à l’encontre du Code du Travail.
Ce qui laisse croire à certains que le problème viendrait du Code du Travail. Forcément, si les patrons ne respectent pas les règles, ce n’est pas de leur faute, mais celle des lois françaises, qui les empêchent de faire ce qu’ils veulent de leurs employés.
Alors plutôt que de faire concorder les conventions collectives et les accords de branche au Code du Travail, on préfère modifier ce dernier, sous prétexte qu’il serait l’ennemi de la sacro-sainte compétitivité. En effet, après l’ANI de 2013, où le délai pour faire recours aux prud’hommes est passé de 5 ans à 3 ans, où il est permis d’appliquer des mutations forcées ou des baisses de salaires pour éviter le plan social, le gouvernement actuel propose le rapport Combrexelle, où il est question de faire primer les conventions collectives et les accords de branche sur la loi, de « négocier » quelques points du Code du Travail avec les syndicats, et d’augmenter le seuil de déclenchement des heures supplémentaires.
Pourtant, le Code du Travail n’impacte pas négativement la compétitivité, et ce pour (au moins) deux raisons.
La première, c’est que le Code Du Travail n’a pas d’influence sur les critères pris en compte dans la mesure du taux global de compétitivité d’un pays (Cf. la liste ici) ; la seconde, c’est que détériorer les conditions de travail des salariés est néfaste pour leur performance, leur productivité et la gestion de ces derniers pour ceux qui les encadrent quotidiennement sur le terrain. Ainsi, les performances de l’entreprise diminuent sur le long terme
Le Code du Travail réglemente principalement le temps de travail, le salaire, l’emploi et les conditions de travail.
Or les critères cités précédemment ne sont pas pris en compte lors de la mesure du TGC d’un pays (Taux Global de Compétitivité). En effet, la valeur de ce taux dépend essentiellement de la qualité et de l’efficacité des institutions (publiques comme privées), du niveau des infrastructures disponibles (notamment en ce qui concerne l’atténuation des effets de la distance) et de l’investissement en termes d’éducation et de santé de la population.
En ce qui concerne la flexibilité, non seulement ce critère est pondéré faiblement dans le calcul du TGC (il arrive en 7ème position sur 12 critères) mais en plus le terme a été trop souvent galvaudé. En effet, un salarié flexible, ce n’est pas forcément un salarié que l’on peut licencier gratuitement, c’est surtout un travailleur qui engendre peu de coûts à l’entreprise lorsque cette dernière change son activité. Ainsi, le seul moyen d’avoir des travailleurs flexibles sur le long terme, c’est d’investir dans leur formation (critère placé en 5ème position sur 12) afin qu’ils s’adaptent rapidement à toute diversification.
Diminuer les droits des salariés n’améliore pas la compétitivité des entreprises, bien au contraire.
Pourtant, sans jamais redéfinir les mots-clé employés (notamment « compétitivité », « productivité » et « flexibilité »), on accuse à tort le Code Du Travail. C’est pourquoi, il paraît judicieux ici de redéfinir ces 3 termes précisément.
Compétitivité : au sens économique du terme, ce mot désigne la capacité d’une entreprise, plus largement, d’un secteur économique voire d’un territoire de vendre et fournir plusieurs biens ou services sur un marché donné en situation de concurrence. Cette capacité peut être mesurée en suivant des indicateurs tels que la qualité des institutions publiques comme privées, celle des infrastructures, le niveau de formation, d’éducation et de santé des travailleurs.
Productivité : se calcule en divisant la quantité de marchandise produite par le temps qu’il faut pour en produire un exemplaire.
Flexibilité : un travailleur (ou une situation) est dit flexible lorsque le coût engendré par un changement d’activité est minimal.
En partant de ces définitions, il apparaît de façon logique que :

  • Augmenter le temps de travail des salariés diminue la productivité, c’est mathématique. Sachant que dans le temps de travail, il faut aussi prendre en compte la fatigue du salarié (baisse de production) , les temps de pause, le facteur de contingence (pannes machine dans une usine, éventuels incidents sur le poste de travail…), il est évident que le temps de travail doit être minimisé afin d’optimiser la productivité des salariés.
  • Augmenter le temps de travail, c’est aussi augmenter le temps de fatigue du salarié, le temps de pause et le facteur de contingence. En effet, ces données se calculent à partir de la durée des tâches affectées à un poste de travail, et leur impact dépend largement de la pénibilité et de la difficulté de la tâche.
  • Augmenter le temps de fatigue du salarié conduit inévitablement vers un plus fort impact du facteur de contingence. Car un salarié fatigué, c’est un salarié inattentif ; ce qui engendre un nombre croissant d’erreurs, et a pour corollaires directs une augmentation des accidents du travail et une baisse de la qualité de la production. Sur le plus long terme, cette fatigue peut se transformer en épuisement et amener à des cas de burn-out, de dépression et de TMS (Troubles Musculo Squelettiques), qui sont sources d’absentéisme, ce qui en plus d’altérer la qualité du travail, fait aussi baisser la production et engendre un coût supplémentaire à l’entreprise.
  • Ne pas investir sur la santé, le bien-être et la formation de ses salariés, c’est se limiter à des projets à court terme peu rémunérateurs et s’empêcher de se diversifier ou de devenir leader de son secteur sur le long terme. Ainsi, on est obligé d’augmenter le turnover pour que les salariés soient flexibles, ce qui coûte cher en temps et en image. Un turnover élevé oblige au fur et à mesure l’employeur à alourdir la charge de travail qui pèse sur les épaules de chaque salarié, ce qui finit par détériorer les conditions de travail et la santé des travailleurs, avec les conséquences que l’on a décrites plus haut.
  • Inévitablement, tous ces facteurs (turnover élevé, mauvaise santé des travailleurs, baisse de productivité et de flexibilité, baisse de la qualité…) conduisent à une baisse des performances des salariés et de l’entreprise, donc à une baisse de la compétitivité.
  • Enfin, rogner sur les droits du salarié en diminuant les salaires, le délai de recours aux prud’hommes en cas de litige avec l’employeur, en obligeant les mutations, en facilitant les licenciements et en supprimant le cadre légal du droit du travail contribue chaque fois un peu plus à la défiance générale envers les institutions publiques et privées, en plus de produire du stress et de la précarité supplémentaires (néfastes pour les performances des entreprises) aux travailleurs ; et c’est ce qui est le plus dangereux pour la compétitivité.

Naturellement, lorsqu’on connaît la réalité du terrain en observant de près le travail des salariés en entreprise, et qu’on maîtrise les définitions de base des concepts tels que la compétitivité, la flexibilité ou la productivité, on sait que les affirmations suivantes qu’on retrouve régulièrement dans la bouche de nos chers politiques ou journalistes sont fausses :

  • « Les 35h arnaquent les classes moyennes » par Le Figaro Vox (Eric Verhaeghe)
  • « Les 35h sont un frein à la compétitivité/une plaie pour l’économie »
  • « Les 35h ne créent pas d’emploi en France mais chez ses voisins » (joli raccourci par Valérie Pécresse)
  • « Le Code du Travail fait plus de 3000 pages » (David Pujadas qui oublie les jurisprudences)
  • « La France otage de son droit du travail, frein à sa compétitivité » par Guillaume Cairou dans Les Echos
  • ….

Ce qu’il faut donc retenir, c’est que préserver un cadre légal strict pour la protection des droits des salariés et améliorer les conditions de travail, ce n’est pas seulement une affaire d’humanisme ou une histoire de bons sentiments, c’est surtout une question de bon sens. Car une entreprise qui réussit, c’est une entreprise qui sait prendre en compte le facteur humain afin d’être performante durablement, pas une entreprise obnubilée par sa trésorerie et ses coûts de production afin de servir des intérêts financiers qui vont parfois à l’encontre de ses performances économiques. Une entreprise en bonne santé économique, c’est une entreprise qui investit sur ceux qui la composent et la font grandir par le travail, pas une entreprise qui se soumet aux diktats de ceux qui négligent ses travailleurs.

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