Dissimuler un travail, c’est ne pas déclarer intentionnellement partiellement ou entièrement son travail, ou un emploi salarié. Ceci permet aux travailleurs indépendants de s’exonérer de leurs obligations fiscales, mais aussi aux employeurs d’économiser des cotisations sociales, voire d’éviter d’embaucher du personnel pour un poste permanent.
A l’ère de l’ubérisation, où l’économie est à la fois digitalisée et dérégulée, les frontières entre travail dissimulé et travail déclaré sont de plus en plus floues. Comment ceci est-il possible ? Peut-on rendre les nouvelles technologies seules responsables de ce phénomène ?
L’ubérisation renforce le lien de subordination entre employeur et salarié à défaut de l’annuler…
….Ce qui a pour corollaire de tendre les rapports de force à l’avantage des employeurs. Et qui dit rapports de force tendus, dit pression plus forte sur les travailleurs, donc plus de précarité et de chantage à l’emploi.
Cette tension pousse les employeurs à exiger de plus en plus des travailleurs, et les travailleurs à accepter des conditions de travail de plus en plus lamentables. Ainsi, dans ce contexte, il est beaucoup plus aisé pour les employeurs de faire des entorses aux règles du Code du Travail (qui protège de moins en moins), et les travailleurs sont beaucoup plus enclins à subir ces entorses.
Pire, l’ubérisation amenuisant l’offre d’emploi alors que la demande est toujours plus pressante, les travailleurs sont de plus en plus forcés d’accepter des formes de revenu non salarié, comme c’est le cas des chauffeurs Uber, mais aussi des enseignants des organismes de soutien scolaire à domicile, des femmes de ménage, des baby-sitters et des livreurs de repas, pour ne citer que quelques exemples. Souvent, ce type de travaux est rémunéré à la tâche, à l’heure ou à la commission et ne permet pas de dégager une somme suffisante pour vivre car ils sont ponctuels. Le seul avantage pour ceux qui les effectuent, c’est qu’ils permettent de dégager un complément de salaire pour une durée de travail pas trop excessive….en théorie.
De plus, même quand on est déjà salarié, le salaire moyen n’augmentant que très peu par rapport à l’inflation, de plus en plus de travailleurs se tournent vers ce genre d’options afin de conserver un pouvoir d’achat décent ; ce qui fait qu’aujourd’hui, les employeurs friands de ce type de main d’œuvre flexible n’ont que l’embarras du choix, et n’hésitent pas à mettre en concurrence directe des travailleurs qui ne sont pourtant pas liés par un contrat.
Ainsi, même si le lien de subordination n’est pas matérialisé via un contrat de travail, étant donné la nature déséquilibrée du rapport de forces existant au niveau des besoins en force de travail, il est bel et bien présent. Et ce lien de subordination tendu renforce la précarité de tous les travailleurs, qu’ils bénéficient de la protection d’un contrat de travail ou non, puisqu’ils sont tous mis en compétition directe sur le marché du travail.
Comment la précarité facilite la dissimulation du travail
Il existe plusieurs façons de dissimuler du travail ; on peut ne pas déclarer un emploi salarié, afin de s’exonérer illégalement des cotisations patronales, on peut aussi ne pas déclarer un travail indépendant afin de ne pas être imposé sur ses bénéfices, et on peut encore attribuer à un salarié des missions qui ne sont pas détaillées dans son contrat ou sa fiche de poste.
Si l’on connait déjà bien les deux premières techniques de dissimulation du travail, la dernière est en pleine expansion du fait de la précarisation grandissante du travail. Les exemples les plus flagrants se retrouvent dans le milieu du web, là où il n’est pas rare de constater que les journalistes ou rédacteurs web, portent aussi la casquette de community manager, voire de webmaster. Ces 3 métiers sont pourtant très distincts et spécifiques, même s’ils évoluent au sein du même environnement. Il y a aussi le cas du stagiaire amovible, ou du CDD éternellement renouvelé, qui occupe un poste permanent dans l’entreprise. Ces techniques de dissimulation du travail permettent par la précarité qu’elle fait subir aux travailleurs, d’exercer une pression toujours plus grande sur ces derniers et de les mettre en concurrence directe. Ce qui signifie que pour conserver son poste, il faut être capable de subir plus de charge de travail que son voisin, peu importe si les conditions de travail deviennent intenables.
Ceci est aussi est d’autant plus vrai pour les travailleurs dits « indépendants » comme les chauffeurs Uber, les livreurs de repas, les femmes de ménages, les professeurs particuliers à domicile et autres baby-sitters qu’il n’y a même pas besoin de procédure administrative lourde à dérouler pour se séparer d’un travailleur pas assez malléable, puisqu’il n’y a pas de contrat de travail.
Ainsi, il est devenu banal qu’un salarié occupe jusqu’à 3 postes différents au sein d’une entreprise, qu’un article de presse soit échangé contre de la « notoriété » à son auteur pour ne pas avoir à le payer, ou qu’on congédie un travailleur qui refuserait de faire des heures supplémentaires gratuites.
Aussi, il serait intéressant de questionner le mode opératoire de cette dissimulation, et le rôle des nouvelles technologies dans ce phénomène.
Les nouvelles technologies sont-elles responsables des nouvelles techniques de dissimulation du travail ?
Les nouvelles technologies d’information et de communication ont permis de dématérialiser de nombreux services tels que la communication interne et externe des entreprises ; cette dématérialisation ayant permis des gains considérables en productivité, mais aussi de créer des nouvelles façons de travailler, comme la réunion en visioconférence, ou le télétravail, ce qui représentent d’indéniables progrès.
Néanmoins, il ne faut pas oublier que ces nouvelles technologies représentent aussi le lien sans lequel l’ubérisation n’existerait pas. C’est pourquoi on constate souvent que ces nouvelles technologies sont souvent un prétexte qui permet à l’employeur de surcharger ses salariés de travail, de considérer que le télétravail n’est pas du « vrai travail », voire de distribuer du travail qui va au-delà des fonctions du travailleur. Il est donc ainsi beaucoup plus aisé de dissimuler du travail.
Cependant, faut-il pour autant blâmer l’existence de ces nouvelles technologies ? Pas tellement, non. Parce qu’en les utilisant à bon escient, on pourrait travailler à une meilleure répartition du travail afin d’œuvrer pour une organisation plus saine et plus respectueuse de l’être humain. En effet, la question du droit à la déconnexion ne doit pas mener vers une diabolisation de tout progrès technologique, mais plutôt vers une réglementation du travail « numérique » plus claire et plus protectrice des travailleurs.
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